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2 février 2008 6 02 /02 /février /2008 12:49
Ps: un glossaire est disponible à la fin pour les mots en italique.

Chroniques de la pitié
Ou comment attirer sur soi
la compassion d’autrui,
quand on a une vie de merde.

 

 

-----IV-----

 

 

Les liens du cœur sont éternels

 

On a tous un chemin à soi ; une histoire personnelle qu’on enfouit ou qu’on étale au gré du temps et des envies. Ce passé, qu’il soit glorieux ou tout en simplicité, est une part inextricable de notre être. S’il fallait un jour regarder derrière soi, tout homme verrait cette voie qu’il a suivie, tantôt sillonnée de peines et de regrets, tantôt ornée de faste et de bonheur…

 

Comme tout être humain au moins une fois dans sa vie, j’arrive à un moment de mon existence où je ne comprends plus rien et où je doute de tout : le Nœud.

Je l’appelle ainsi pour ne pas l’appeler autrement. Car ce n’est pas ‘un point de non retour’, non ; Certains en reviennent sains, saufs et même plus forts. Ce n’est pas non plus une ‘fin’, non ; Seulement son commencement, et peut-être l’itinéraire qui y mène si l’on ne fait rien contre. C’est pour cela que je le nomme ainsi, le Nœud : On y arrive et on sait que de l’autre côté, il y a le dénouement ; Celui que l’on idéalise, que l’on idolâtre avant de l’avoir atteint. Mais le problème, c’est ce qu’il y a entre les deux, le cœur de l’énigme ; le Nœud.

 

Il y a mille et une solution pour défaire ce Nœud, mais c’est bien là tout le paradoxe : plus il y a d’issues, plus il faut chercher la bonne, la meilleure, l’unique, celle qui nous convient le mieux. Et cela reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin.

C’est là qu’intervient le passé. Tous vous le diront ; les historiens, les scientifiques. Les politiciens, les hommes de lettres ou de grande sagesse. Tous vous affirmeront sans détour que la gloire et l’avenir de toute chose dépendent étroitement de son passé, que la réponse à toute question est, en partie, toujours derrière, il suffit de savoir y regarder.

 

C’était un après-midi frais mais ensoleillé. Février emballait sa pâleur et annonçait la venue d’un printemps doucereux. La brocante était vide, mis à part quelques clients qui s’afféraient près des masques africains du fond. Ils se retournaient parfois, entendant de petits chuchotements mais ne me voyaient que moi, assis à mon comptoir, un stylo à la main et une statuette en bois juste en face. Ils se détournaient croyant rêver.

Mais, non. Je parlais, en effet, ou plutôt, je réprimandais : le singe tenait des propos déplacés en traitant de tous les noms le garagiste d’en face, qui venait à peine de s’installer ! Raciste de nature, il n’hésitait pas à le traiter de sale noir qui pollue et de déchèterie graisseuse –il fallait avouer qu’il ne manquait pas de… ‘Couvertures corporelles’. Et moi de rétorquer que la noirceur n’était que le dépôt de la suie et qu’après tout il ne faisait, en somme, que  réparer et surveiller, donc faire attention à la pollution. On ne pouvait rien lui reprocher.

Mais lorsque la haine de l’autre envahit un cœur, il est perdu. Même sans le connaître, il le déteste. Et l’inconnu, lorsqu’il est jugé sans raison, est bien souvent différent de l’image que l’on s’en fait.

 

La brocante était vide, ce jour là, mis à part les quelques bibelots qui ornaient les étagères. Les stocks étaient décimés. Les Tunisois commenceraient-ils à avoir du goût ? Non, puisque ce que je vends n’est que de la merde et qu’ils l’achètent.

Une fois par mois, je ferme boutique au déjeuner. Je pars refaire mon stock épuisé. A Tunis, chiner est un plaisir sans limite. Le paradis des brocanteurs est à aux quatre coins de la ville. Mais sans conteste, le meilleur de tous ces endroits, ce sont les souks de l’ancienne ville. On y arrive en traversant les quartiers les plus connus et les plus anciens de la capitale.

 

La place de la Kasbah de Tunis est une des nombreuses entrées menant à l’ancienne ville. C’est le poumon politique du pays. En amont, la municipalité, façade de marbre et de verre, côtoie le collège Sadiki et fait face à toute la médina et, entre autres, aux ministères de l’intérieur, de l’économie et de la défense, c’est dire s’il vaut mieux se tenir à carreau dans la région !

Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a plus bas : l’ancienne ville.

 

Des rues étroites, déchirées en un immense réseau de ruelles dont les secrets ne finissent jamais d’être découverts. Je parcoure cette toile pendant des heures, à travers les souks. El ettarines, ech-chaouachines, el birka et j’en passe. Des effluves divers se mêlent et s’entremêlent parfois au plaisir du nez : les senteurs des fioles dans les étalages vous poursuivent inlassablement jusqu’aux poussières des tapis et se mêlent aux odeurs des chéchias. C’est un lieu magique. Un lieu où les gens sont chaleureux, souvent heureux de vous voir et un paradis du chineur. La médina est cet enchevêtrement d’humanité, de rires et quelques fois de déconvenues. Les cris des marchands embaument le brouhaha continuel des passant. Parfois, on entend un client marchander le prix de quelques épices, d’une chicha ou d’une darbouka. Des vieilles portant le safseri teintent la rue d’un blanc éclatant et les bijoutiers étalent dans leurs vitrines des parures à affoler les femmes. Les cafés ne désemplissent pas et la musique vous parvient de partout.

Au loin, le muedhîn de la grande mosquée d’El Zitouna entreprend haut et fort de convier les hommes à la prière : Allah ou Akbar ! Alors pour quelques minutes, les rues se vident. Moi, je marche.

 

Au détour d’une ruelle, je pénètre dans un café, où je venais, plus jeune déjà.

Je m’assieds dans le creux d’une alcôve, pose mon gros sac à terre et commande un café en lisant le journal. Le café arrive. Je le déguste. Rien ne vaut le café de la médina ! Même s’il n’est pas rare d’y voir barboter une mouche ou un cheveu… ce n’est pas grave, cela relève le goût. Quelques clients du café vont et viennent, mais je n’avais pas remarqué un homme, assis à quelques tables de moi, qui me dévisageait longuement. Il se lève, soudainement mais avec hésitation, et s’approche.

-          Euh… on ne se connaîtrait par hasard ? » demanda t-il en restant debout devant la table.

-          Ca dépend, vous êtes déjà allé dans une brocante ? » répondis-je sans baisser le journal qui entravait ma vue.

-          Non, je ne crois pas. » 

-          Alors, on ne se connaît pas. » Je baisse le journal comme pour clore l’entretien. Il me regarde, je le regarde. Nous nous regardons.

-          Ah, non, ça ne peut pas être toi ! Non ! Salope, tu ne m’as même pas reconnu ! Îchra de cinq longues années d’études et tu ne me reconnais même pas ! » Il s’assoie juste en face de moi. Je suis pris de court.

-          Euh… Non, désolé. »

-          Mais si ! On était meilleurs amis au lycée, tu te rappelles ! Tête de gland ; le yaourt à l’harissa ; la grosse baleine qu’on arrêtait pas de ridiculiser ; la p’tite blonde qu’on s’était partagé, mais si ! Tu te rappelles ! » Sur ces quelques mots, vingt ans de décadence défilèrent sous mes yeux. Un flash-back terrifiant où des amis, que je n’avais pas revu depuis des décennies, revinrent à ma mémoire, jusqu’à lui. Ah, oui ! Il était brun… Il est chauve maintenant, ou presque ! Comment aurais-je pu le reconnaître. Ses traits ont vieilli, son visage s’est rabougri mais il a gardé un certain charme. « Tu te rappelles maintenant ou pas ? »

-          Oui, oui, je me souviens. »

 

Pendant plus de deux heures, des souvenirs du siècle passé furent déterrés, dépoussiérés et étalés. Des rires, des déceptions. Des remarques, des oublis. Des amours, des ennemis. Tout un étalage que la mémoire s’était empressée d’inhumer. Tout un pan de ma vie que j’avais enseveli au plus profond de moi-même. Un tiroir dont j’avais perdu la clé. Lui, l’a retrouvée.

Il était dix-huit heures quand, à bout de salive, nous n’arrivions plus à débiter un seul mot. Nous étions, assis, presque déployés de tout notre long, sur deux chaises ou plus. Fatigués, épuisés, exténués, mais comme heureux… épanouis. Nous nous quittâmes sur une enlaçade et il m’invita à une soirée qu’il organisait le lendemain soir, en insistant comme jamais personne ne l’avait fait pour moi, presque les larmes aux yeux. J’acceptai. Chacun repris sa route…

 

Les amis ne se perdent pas, même si le temps les sépare. Si le destin les relie de nouveau, ils se retrouvent comme au premier jour, unis par les liens sacrés de l’estime, tout simplement car les liens du cœur sont éternels

 

 

 

                                                             Glossaire


Chéchias : La chéchia est un couvre-chef masculin porté par de nombreux peuples islamisés. Elle est le couvre-chef national de la Tunisie.

Cousine du béret européen, la chéchia est à l'origine un bonnet en forme de calotte de couleur rouge vermillon en Tunisie ou noire en Libye. (Source : Wikipédia)

 

 

Chicha : Narguilé, narghilé, narjila (arabe: نرجيلة), arguileh (Liban), shisha, chicha (Tunisie), houka (dans le monde Indien), Ghelyan (en persan : قلیان, Qeliān) ou encore Chilam (en Afghanistan), sont des synonymes désignant une sorte de grande pipe à eau utilisée principalement au Moyen-Orient ou en Asie pour fumer le tabac. (Source : Wikipédia)

 

Darbouka : La darbouka est un instrument de percussion répandu dans toute l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et les Balkans.

 

Safseri : Le sefseri (سفساري), également orthographié safsari ou sefsari, est un voile traditionnel féminin portée en Tunisie. (Source : Wikipédia)

 

Muedhîn : Adhan est un terme arabe désignant l'appel à la prière (Salat) et notamment un appel à la prière en groupe. (Source : Wikipédia)

 

« Allah ou Akbar » : Allah est le plus grand. (Traduction)

 

Îchra : Amitié de longue date. (Traduction)

 

Harissa : L'harissa (هريسة) est une purée de piments rouges séchés au soleil puis broyés en présence d'épices comme du cumin. C'est une « sauce nationale » en Tunisie où elle est un élément important de la cuisine tunisienne. (Source : Wikipédia)

 

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28 janvier 2008 1 28 /01 /janvier /2008 21:29
Chroniques de la pitié
Ou comment attirer sur soi
la compassion d’autrui,
quand on a une vie de merde.

 

 

-----III-----

 

 

Je vis de rancœur. C’est mon carburant. Ou plutôt, le tout dernier lien qui me rattache à cette basse terre. Rancœur envers le monde ; rancœur envers la vie ; rancœur envers les hommes ; rancœur envers tout et j’en passe…

S’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que l’amertume transcende toutes les limites. C’est un des rares sentiments qui ne connaît ni le temps qui l’assaille, ni le bonheur qui l’assiège, ni rien d’autre que lui-même. L’amertume nourrit tout. Elle nourrit la haine et la peine, alimente l’aigreur et le dégoût. Meilleure amie de la solitude et compagne du silence, elle ronge les hommes comme le font les lions des savanes avec leurs proies : le plus faible et le plus fragile, en premier.

 

Cette rancœur, je ne l’avais pas étant enfant. J’étais jeune. J’étais insouciant. Je ne savais pas le malheur. Je ne savais pas le désespoir. Je ne connaissais pas la désillusion.

Je vivais en prince dans le royaume de l’amour et de l’affection. Mon roi était mon père ; ma reine, ma mère.

Bien souvent, pour un enfant qui découvre le monde, les parents sont cet astre parfait que la fleur fraîchement éclose suit comme son ombre, de l’aube au coucher. Il s’épanouit à leurs rayons et, chaque soir, s’endort le cœur empli de leur tendresse.

Ah, qu’ils sont bons ces instants là !

Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin. Et que celle-ci est dure ! Plus même que toute autre !

Car un jour on a dix ans. Un jour, on a douze ans. Un jour, on a quatorze, seize, dix-huit ou vingt ans ; l’âge n’a plus n’a d’importance. Ce jour-là, on se rend compte, trop tard, malheureusement, que des nuages atténuent la chaleur de ce soleil qui n’a plus rien de parfait, qui a perdu sa splendeur et qui s’abaisse au rang de la foule.

Ce matin, la fleur s’ouvre sur un froid de givre. Elle a beau se recroqueviller sur elle-même, rien n’y fait. Elle est seule, vidée, jetée. Puis l’astre ne se lève plus à l’aube. Les nuages ne se dissipent plus. La terre s’envenime de ce poison qu’est la rancœur. La fleur n’a plus d’autre choix que de l’absorber, s’en imbiber, s’en étouffer. Elle fane…

Elle fane mais ne meurt pas, non. Elle poursuit son existence et j’en suis un pétale. Un pétale que le venin entretient. Un pétale qui se meurt car son corps pourrit mais ne peut rien y faire. Un pétale qui voit son corps se consumer, son âme s’écrouler et son corps s’effondrer…

L’hiver se refait sentir. Il ne m’a pas manqué.

Chaque matin, deux semaines durant, mes mains gelèrent et mon corps se brisa contre le vent glacial qui submerge tout. A Tunis, vous avez, avec l’hiver, le froid qui vous fend les os, mais même le réconfort enfantin de la neige, dans ces moments là, ne vous vient jamais.

A Tunis, en hiver, le ciel est gris et froid, certes, mais pas plus que les cœurs. Les visages sont pâles, les mines renfrognées.

La blonde d’en face a perdu son mari, le videur. Paix à son âme.

Elle a pleuré. Pleuré comme jamais. Et elle souffre… comme jamais. Elle a perdu son pétale, sa seule, unique et ultime raison de vivre ; Le poison l’a eue !

Mais cela s’est passé il y a deux semaines maintenant. Elle a repris le cours de sa vie… Vous ne l’avez pas vue, vous ! Vous ne l’avez pas vue, plusieurs jours durant, venir le matin, avec une demie heure de retard, chaque fois. Vous ne l’avez pas vue, ouvrir son salon de coiffure, tous les matins, avec l’enthousiasme d’un condamné sur le chemin de la corde. Vous ne l’avez pas vue, crier sur ses clientes parce qu’elles n’ont pas utilisé le bon shampoing ou s’excuser d’avoir rater une coiffure parce qu’elle pensait à son avenir incertain. Vous ne l’avez pas vue, passer dans la deuxième moitié de sa boutique, l’après midi venu,  pour trancher des côtes, laminer des filets, débitant la viande avec la force du désespoir et de la peine.

Vous ne l’avez pas vue. Et qui ne l’a pas vue ne sait pas ce qu’est le malheur. Et qui l’a vue ne saurait se plaindre…  

             Le froid n’a pas que des ‘inconvénients’. Certaines fois, il adoucit mes nuits. Il anesthésie ma peine, il fige ma douleur et enivre mon esprit qui en oublie sa solitude.

 

 

 

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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 10:35
Chroniques de la pitié
Ou comment attirer sur soi
la compassion d’autrui,
quand on a une vie de merde.

 

 

-----II-----

 

L’hiver n’est pas sans pitié. Même lui, laisse, quelques fois, du répit aux hommes. Il s’éclipse, parfois, le temps d’une journée. Alors, le vent se tarit, le froid s’atténue et les nuages fuient. Alors, le soleil refait surface, enveloppant le monde et berce la capitale de ses doux rayons. Les rues retrouvent de la vie. Les cœurs s’emplissent de gaieté et ma brocante de clients.

Moi-même suis moins… tendu et triste.

 

C’est ainsi que fut le temps, un jour de janvier. Quelques clients s’afféraient, seuls, devant les étagères du fond, après avoir refuser délicatement mon aide. Je restais assis derrière mon comptoir, le cul sur une chaise en bois cintré, style ‘Vienna’ et signée par un artiste aussi réputé que talentueux, c'est-à-dire… nul.

Eh oui, il y a parfois des gens qui, sous couvert d’avoir démolit le tronc d’un arbre avec un marteau et un clou, se croient artistes. Derrière ceux-là, il y a un immense duel de valeurs. En effet, la prétention est en perpétuel combat contre la connerie. Quelques fois la première l’emporte et la bêtise laisse alors place à l’arrogance mais d’autre fois, la prétention s’incline et s’évanouit, et là, on a des chaises comme celle là.

J’ai toujours été ainsi : pragmatique ; une merde est une merde, certes, mais une merde peut être utile quand on sait quoi en faire… les femmes en sont un bon exemple. 

S’il fallait tirer un avantage de mes heures de solitude au travail, je dirais que les monologues philosophiques que je fais en sont irrémédiablement un. Maintenant, leur justesse peut-être mise en doute, peu importe…

 

Donc, c’était un matin de début d’année. Rien de spécial, la blonde d’en face coiffait une cliente, des jeunes se couraient après, des passants s’arrêtaient de temps en temps devant la vitrine.

Soudain, la cloche, surplombant la porte, tinte. Pourquoi je dis « soudain » ? J’y suis habitué, non… ? Bref, la porte s’ouvre et une jeune femme, la trentaine, plutôt grande de taille, brunes, les yeux chocolat, les joues roses et des atouts ravageurs, pénètre dans la boutique.

C’est le coup de foudre. Mon cœur fait un bond. Il crie, il braille, il hurle comme un cerf en rut et transperce ma poitrine pour dévaler mon corps et partir gambader entre les pieds de sa dulcinée…

Hop, hop, hop, qu’est ce que je raconte ? Je délire, c’était un thon !

Non, je plaisante. En réalité, oui, elle était belle, mais mon cœur est resté en place, à battre normalement. Je n’ai plus l’âge de ces folies là, je ne bande plus devant un simple décolleté.

 

 

 

Je lève la tête.

« Bonjour » dit-elle d’une voie douce. 

Silence. Je la regarde.

« Euh, je veux voir… » Balbutie t’elle.

Silence. Mon mutisme semble la troubler.

« … Je veux m’acheter des bibelots. J’ai re-décoré mon salon. » Dit-elle, comme pour justifier son hésitation.

Silence. Je la regarde. Ses joues rosissent, rougissent. Elles sont pourpres. Je lève doucement la main, l’autre tenant toujours le journal. Je lui indique un coin de la pièce. Elle me regarde. Elle n’est pas inquiète, non, elle semble plutôt intriguée. Moi aussi, à tel point que le froid qui pénétrait par la porte, toujours ouverte depuis l’entrée de la jeune femme, ne m’avait en aucun cas interpellé.

Elle referme la porte et se dirige, sans plus un mot, vers l’endroit indiqué.

« Bonjour. » Répondis-je.

Elle s’arrête brusquement, incline légèrement la tête mais reprend sa marche. Elle disparaît de ma vision pour quelques minutes. Des bruits me parviennent. Elle prend un bibelot. Elle le repose… Elle en prend un autre. Elle le repose. Elle fait sonner une cloche. Silence.

Je décide de la rejoindre. Même une merde est toujours utile

« Voulez-vous de l’aide ? Dis-je avant même d’être à ses côtés.

-          Oui. Je ne cherche rien de particulier, juste quelques bibelots… » Dit-elle, en affichant un léger sourire.

-          Vous tombez bien, c’est une brocante.

Elle ne semble pas comprendre la plaisanterie. Silence.

-          … Je cherche quelque chose d’ancien et de moderne à la fois. Quelque chose de poétique mais de réel. Une statuette, une petite horloge ou un cendrier, tout pourrait faire l’affaire.

-          Je dois avoir ça… » Je réfléchis. « Suivez-moi… »

Elle me suit. Je sillonne la boutique jusqu’à l’autre bout. Je lui montre une statuette.

« Le bronze est intemporel. Jamais démodé, jamais égalé, il est à la décoration d’une pièce, ce que la tour est à un jeu d’échec : indispensable. Symbole de chic et de simplicité…

-          Je prends… coupe t’elle, spontanément.

-          Très bien… Vous désirez autre chose ?

-          Oui.

Encore le silence. Je réfléchis. Elle ne m’a donné aucune information sur ce qu’elle voulait pour sa décoration. Oui ! Elle me suit, deux étagères plus loin. Je farfouille. Elle reste à deux pas derrière moi. De la poussière s’échappe d’entre les toiles que je manipule, toutes entassés contre le mur.

-          Voilà. Cela devrait certainement vous plaire. » Je lui montre la toile. « C’est une reproduction du ‘Géographe’ de Jan Vermeer van Delft. Elle a été peinte en 1668 et l’originale est exposée à Francfort. 

-          Qu’a-t-elle de spécial, dites-moi ?

-          Eh bien, je n’ai jamais été insensible à la mélancolie. Regardez bien, il y pleut à la fenêtre. Plusieurs copies ont été faites de ce tableau, mais aucune n’égale l’originale, pas même celle-là.

-          Alors, pourquoi voulez-vous que je la prenne ? Demande-t-elle étonnée.

-          Eh bien, parce que celle-là est la peinture qui se rapproche le plus de l’originale. Les mêmes couleurs sombres, les mêmes ombres, la même tristesse. Regardez-le, il manque d’inspiration, de volonté et de vivacité. C’est ce à quoi nous sommes tous voués. Le néant intellectuel… » Elle semble surprise, impressionnée. « De plus, vous voulez décorer, n’est-ce pas ? Cette toile sierra à merveille à n’importe quel salon. »

-          Très bien, je la prends. » Affirme t-elle avec un léger doute dans la voie.

-          Ayez confiance… » Lui dis-je en retournant au comptoir.

 

Elle me regarde empaqueter la toile et la statuette. Elle paie. Elle sourit. Le soleil, dehors, brille comme jamais. Elle me dit doucement au revoir et merci. Je lui retourne galamment ses mots. Un compliment est de mise : « Vous avez une belle… voiture ». Je ne trouvai pas mieux ! Elle sort. Elle part, le gros sac dans le coffre de sa BMW.

           

D’autres clients entrent. Ils demandent à avoir quelque chose d’éclatant. Ma brocante est la meilleure de tout le pays et la plus complète, jamais je n’en ai douté !

Je ne trouve rien pour eux. Rien de suffisamment scintillant. Rien de suffisamment beau. Rien de suffisamment « éclatant »…

 

 

 

 

 

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 14:00
Chroniques de la pitié
Ou comment attirer sur soi
la compassion d’autrui,
quand on a une vie de merde ?

 

 

-----I-----

 

J’étais destiné à devenir un grand écrivain, un grand poète ou un grand artiste.

En effet, le talent était au rendez-vous et paraissait bien prometteur ; l’ambition, elle, ne manquait pas ; les idées coulaient à profusion ; ma situation me permettait d’entretenir de vifs espoirs, car venant d’une famille 'modeste', je n’avais à me plaindre d’aucun manque.

Aujourd’hui, que suis-je ? Un écrivain, certes, mais la grandeur m’a fait faux-bond ; Un poète, certainement, mais le talent n’était qu’un leurre ; un artiste… qu’est-ce donc que cela ?

 

Je suis un homme esseulé. Vidé. Jeté.

Des amis… ? Je connais le terme, mais n’arrive plus à m’en faire une idée bien claire.

Les femmes… ? Ces suceuses de cœurs ! Elles m’ont prit mon amour –le propre, entre autres. Elles m’ont prit un peu de mon argent aussi, mais cela n’a plus d’importance.

D’ailleurs, j’exagère ! Une seule m’a prit mon argent. Les autres ne m’on prit qu’une maison, ou qu’une voiture… la dernière même, n’a eu droit qu’à un chien, qui d’ailleurs, n’a manifesté aucun regret à l’idée de me perdre après dix ans de bons et loyaux services ! Pff, meilleur ami de l’homme… n’importe quoi ! Pas même une larme, ce cabot !

 

Tous les matins, je me réveille quand mes yeux s’ouvrent. Je me prépare à manger parce que j’ai faim. Un croissant, un verre de lait et une tartine au beurre… Je déteste les croissants !

Je travaille comme brocanteur dans un local minable dans la banlieue, heu… quelle banlieue d’ailleurs ? Je ne sais plus, j’ai toujours été nul en géographie. Quoi qu’il en soit, je travaille dans un trou perdu dans Tunis. Ma journée se résume à renifler de la poussière, à parler avec Gorgo, mon singe en bois, et à regarder la blonde du magasin d’en face.

A midi… ou à une heure… quelques fois à deux heures, je pars manger un sandwich. Je déteste ce mot, « sandwich ». J’ai l’impression de parler d’une chaussette ou d’un chien. « Sandwich », « sandwich », « SAN-D’-WICH » ; ah ! Je déteste ce mot !

Plus tard, je reprends le boulot. Quelques fois les débats s’enveniment avec Gorgo, mon singe en bois. Il est, de nature, têtu, raciste et zoophile. Il se moque de tout, ne respecte rien. Aussi, je m’énerve rapidement et il ne me faut pas plus d’une heure pour que je le mette dans le tiroir, que je ferme à clé.

 

La blonde d’en face, coiffeuse le matin, charcutière l’après midi, ferme boutique à dix-huit heures. Elle me balance sa main frêle, de l’autre côté de la rue, tous les soirs, pour me dire au revoir. Son mari vient la chercher. Un gros loubard, certainement videur dans une boîte de nuit, l’attend au coin de la rue, tous les jours, à la même heure. Une fois, par curiosité, je suis sorti, longeant le trottoir opposé, pour le voir de plus près. Une casquette verte fluo sur la tête, style Teletubbies ; la moustache de Salvador Dali dissimule des joues flasques, une peau aussi douce que du crépis et un peu plus uniforme qu’une éponge. Winnie l’Ourson ne lui envierait pas un cheveu !

 

Le soir, je rentre chez moi vers dix neuf heures trente. Je fais réchauffer le dîner de la veille, qui est –coïncidence- le même dîner de l’avant-veille. Quelque fois, la purée verdit un peu, mais ne perd jamais de son goût ni de son authenticité. Je regarde un peu la télé. Que de la merde ! Jamais rien d’intéressant, rien de cultivant, rien qui ne me tienne éveillé !

Bien souvent, en alternative, je m’adonne à des plaisirs solitaires… Pff, ce que vous avez l’esprit mal tourné ! Oui, bien souvent j’écris, je chante, je danse parfois même, cela sont mes plaisirs ! D’autres fois, je regarde, par ennui plus que par vice, la blonde d’en face. Ah oui, j’ai oublié de vous le dire (!) : la blonde d’en face au travail, est aussi la blonde d’en face à la maison. Elle habite à trente mètres de ma porte.

Hop, hop, hop ! Rappelez votre esprit pervertit : sa salle de bain est de l’autre côté de la maison. Non, ce que j’aime regarder, c’est les disputes. Entendre, serait plus juste. Les cris, les pleurs, n’importe qui donnerait n’importe quoi pour avoir cela, sans payer son abonnement télé. Quelques fois, en bonus, il est possible d’avoir droit à une assiette cassé ou à un verre brisé. Une fois même, le quartier a eu droit à la police. Oui, la police ! « Tapage nocturne », ont-ils dit. La plainte ne venait pas de moi, c’est sûr.

C’est ahurissant de voir le plaisir que se procurent certains en se délectant des malheurs des autres ! Je parle pour moi, oui, mais pas seulement. Ne me dîtes pas que vous n’avez jamais fait cela !

 

D’autres fois, il ne se passe presque rien. La voisine de derrière crie pour faire fuir des chats qui chahutent en gangs près des ordures, le couple du bout de la rue organise un dîner, le jeune d’à côté met de la musique… rien de spécial. Ces jours là, je m’endors, plus seul que jamais. Le poids du silence m’assomme. Je me saoule avec ma tristesse, que je bois à coup de grosses gorgées. L’isolement est mon seul compagnon. Même, Gorgo, mon singe en bois, n’est pas là. La blonde d’en face dort.

 

Mes yeux se ferment. Le néant succède au noir. Et au fond de mon cœur, qui s’assoupit doucement, les pires pensées s’éteignent et viennent fleurir le pré de ma rancœur…

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Sans Prétention... Moi.

  • Z.Boussen
  • Ma vie est un mystère... Moi même n'en connais que très peu de choses. Vous voulez en savoir plus ? Contactez-moi, on fouillera le plus possible.
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