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14 mars 2009 6 14 /03 /mars /2009 20:59

Chronique de la pitié

-ou comment attirer sur soi

la compassion d’autrui

quand on a une vie de merde.

 

Chapitre XIII

 

J’ai souvent méprisé les femmes. Par rancœur, certaines fois, mais plus par peur ou par manque de confiance -en moi- toutes les autres fois. Ces créatures qui ont sur nous pareilles maîtrise et influence, pareils contrôle et emprise m’effraient. J’ai succombé tant de fois à leur beauté ou à leurs avances et j’en ai moi-même fait quelques unes.

Et maintenant que j’y pense, je comprends cette méprise. Je la condamne en moi-même et je ne la cautionne nullement, mais je la comprends. Par analogie, je constate que chaque fois qu’elle m’a envahit, cet instant coïncidait avec une partie de ma vie ou régnait en maîtresse, souveraine et autoritaire, la solitude qui n’épargne personne, je le sais, et qui ne m’a pas épargnée. J’en veux peut-être au genre qui n’est pas le mien, de m’avoir, par instants, laissé tomber. Et je le comprends d’autant plus que dès que la solitude est violée par une intruse, elle s’évapore et se fait oublier.

Je ne comprends pas les femmes, comme tout homme, je le pense. Et aussi naïf puisse ce cliché être, je ne rechigne pas à le dire et à le redire. Mais je ne me plains guère de cette situation, d’ailleurs, j’en tire même un certain réconfort : à quoi me sert-il de côtoyer un être que je connais de fond en comble, que je comprends sans peine aucune ? Rien. Il est bien plus utile de s’intéresser à ceux qui nous dissemblent. Explorer une terre inconnue, lever le voile sur un mystère dormant, naviguer sur des eaux troubles et capricieuses, tout cela est bien plus intéressant. Et l’homme se serait lassé de la femme depuis deux millénaires s’il n’avait à redécouvrir chaque jour et son lendemain les choses qu’il ignore ou qu’il oublie à son sujet.

La Blonde sourit en accueillant une cliente. Elle ne l’avait pas fait depuis longtemps, tout du moins, je ne l’ai pas vue le faire depuis plusieurs semaines. Elle était radieuse, même au comble de la peine et de l’abattement ; peine et abattement que j’avais du mal à comprendre. Elle témoignait d’une force surprenante en brisant des côtes qu’elle servit à la cliente. Vous avez oublié ? Elle est toujours charcutière quatre matins par semaine. Je la contemplais de derrière ma vitrine, mon regard entrecoupé par quelques passants qui s’arrêtaient pour observer les bibelots exposés. Radieuse. Il était midi. Elle rangea le local et ouvrit celui d’à côté, le salon de coiffure. En passant, elle me vit, la regardant. Elle rougit légèrement, même à vingt mètre je le vis, et secoua délicatement sa main. Je lui rendis un sourire qu’elle ne vit pas.

A cet instant, le silence qui m’entourait tempêta à tel point qu’il réveilla l’antique méprise qui m’habitait. Impulsivement, je me mis debout avec mépris et sortit de la brocante. Je traversai, toujours avec mépris la Rue et, juste en frappant à la porte, me retrouvai devant la Blonde : le mépris mène parfois loin et je me rendis vite compte de l’inconscience de mon geste. Qu’allais-je lui dire maintenant et qu’allais-je faire ? Elle, se contenta de sourire et de parcourir la pièce en remettant de l’ordre un peu partout. Elle se retournait parfois pour voir se ce que je faisais, mais elle voyait bien que je ne faisais rien. Rien que la regarder silencieux, happé par une force qui m’empêchait de réfléchir ou même de retirer cet air béat que j’affichais. Je ne saurais dire ce qui m’attirait, si toutefois ce que je ressentais était de l’attirance.

Le soleil de Mars éclairait la Rue et pénétrait dans le salon de coiffure pour écraser ses rayons sur mon dos. J’avais chaud. Il faisait beau. Je la regardais, elle, gigoter, nettoyer, dépoussiérer, ordonner la pile de journaux, ranger le sèche-cheveux et tous les autres accessoires dont elle avait usage. Je la voyais se pencher, s’accroupir, se tenir sur la pointe des pieds et au terme de ce marathon maniaque s’étendre sur un banc et reprendre son souffle, en ignorant presque ma présence. Soudainement, par l’effet de la chaleur ou de l’attraction, une impulsion me frappa violemment à la tête et au cœur : sans réfléchir, je courus presque sur elle, allongée, et me jeta comme un loup sur sa proie. Elle ne tenta même pas de me repousser et accueilli avec chaleur la visite qui lui était rendue. La Raison avait momentanément perdu le combat qu’elle menait contre mes instincts et avait battu en retraite. J’assouvis ce désir qui m’habitait depuis si longtemps, désir généreux par ailleurs : je ne voulais plus la voir triste et j’eus la prétention de croire que mon geste -mis à part de me procurer un certain réconfort- suffirait à lui rendre le bonheur. Et j’ose croire qu’il la reconquit pendant une minute, un siècle même.

La porte s’ouvrit au tintement de la petite cloche qui la dominait, et apparu  une dame, une cliente, résidente de la maison de retraite du bout de la Rue. Elle poussa un cri étouffé, se prit la bouche avec une main et se cacha les yeux -un seul, en réalité- avec l’autre en laissant tomber son sac à main. La troisième impulsion de la matinée me jeta à un mètre en arrière et se transmit à la Blonde qui se releva en un clignement d’œil. Et coïncidence, on bafouilla tous trois en même temps. La vielle dame dit qu’elle reviendrait plus tard et, ramassant son sac, elle tourna les talons à une vitesse qui ne trahissait pas ses soixante-dix ans. La Blonde me regarda : on avait tous deux compris. Un témoin, à fortiori, résident de la maison de retraite, signifiait que dans la demi-heure, sans faute, la rumeur -la nouvelle, telle qu’elle serait présentée- aura atteint les deux rives et les deux bouts de la Rue…

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commentaires

M
Une belle histoire qui commence par une analyse sur la gent féminine dont tu cites "Ces créatures qui ont sur nous pareilles maîtrise et influence, pareils contrôle et emprise m’effraient", mais au final elle ne t'effraie plus, la passion et le désir t'on envahi, une blonde t'a fait craquer et l'on suit sans déplaisir cette histoire, passionnant ! C'est fort bien écrit, bravo !<br /> <br /> Bonne fin de journée. Amitiés. Monique
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Sans Prétention... Moi.

  • Z.Boussen
  • Ma vie est un mystère... Moi même n'en connais que très peu de choses. Vous voulez en savoir plus ? Contactez-moi, on fouillera le plus possible.
  • Ma vie est un mystère... Moi même n'en connais que très peu de choses. Vous voulez en savoir plus ? Contactez-moi, on fouillera le plus possible.

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